UN DINER PRESQUE PARFAIT A ROUBAIX ! I
Lundi, Emmanuel, cadre, de bicyclette, suis-je drôle. Au fait, Manu, on met un casque pour faire de la bécane, même en ville.
Chez lui. On reconnaît entre mille ces maisons du nord en briques rouges. La disposition est presque toujours la même. Construites sur un modèle qui englobe aussi le Pas de Calais, avec un couloir sur le côté, un escalier qui monte à l'étage, les pièces en enfilade terminées par un petit jardin. La dernière pièce est devenue une grande cuisine et elle est vitrée le plus souvent.
Parquet, cheminée, beau piano.
Nous le voyons faire ses courses et choisir son vin chez modération; un liquide puissant, sans arrière goût, avec une belle robe et une bonne tenue en bouche, merde ne vous étonnez pas de sa présence dans les sacristies.
En cuisine, "Je travaille avec des ustensiles manuels." Donc, aucun robot ce soir ! Un petit minuteur était pourtant le bienvenu pour ne pas oublier de plats dans son beau piano.
Décoration de table. Nappe taupe du nord. Set marron foncé. Un empilage d'assiettes assez disgracieux. Assiette de présentation, assiette plate, sous assiette et assiette creuse, un beffroi, un donjon. Une composition de fleurs fausses très kitch et très imposante et minable.
" Comme on est en nombre impair, ce n'était pas évident de faire une présentation. " il faudra m'expliquer le sens de cette phrase.
Pas de couverts à poisson, petite cuillère à l'envers, des cristaux .. bof, bof.
Les invités arrivent. Sabine, choucroute, jeans, soutien gorge agressif de chez Portland, une bouteille et une poignée de main virile. Aurélie, un pack de bière, classe, jeans et poignée de main également. Isabelle, en robe, ouf, une bise, ouf, ouf, une bouteille de liqueur locale. Julien, prison break, une bise à tout le monde, et une bouteille.
Apéritif. Vigne du nord et ses saveurs. Des bières sans plateau, mais c'est de la bibine, alors...
Je remarque qu'Aurélie tient le même discours que l'étudiante de Besançon sur les plats du terroir, d'ailleurs, elle confond aussi terroir et franquette, produits locaux et manque de classe.
Trois verrines. Popeye le tatoué connaissait immédiatement de 'visu' le radis.
J'aime bien les expressions d'Aurélie qui se la joue un peu connaisseuse pour ces amuse-bouches sans prétention, tout le vocabulaire cliché y passe. Agréable en bouche, ni trop, ni pas assez, explosion des saveurs ! Ma banane, qui était discrète depuis quelques temps, vient de se manifester à l'écoute de ces déclarations gustatives. Il va falloir que je la calme.
A table. L'hôte insiste sur sa décoration 'dans le naturel'. Chassez le il revient au galop. J'ai beau chercher, je ne vois rien de très nature. Ah, il a enlevé le tas d'assiettes complètement inutile et apporte l'entrée sans aucune présentation, sur une assiette blanche ovale.
Entrée. Assiettes de nos côtes. Croquette de crevettes, on dirait de la bouffe pour chat, brochette de moules et saumon, crabe. Je trouve qu'Aurélie est un peu embarrassière.
Animation autour de la table. Fais-moi deviner qui je suis, un classique, c'est marqué sur mon front, sur un papier coincé avec un bandeau. Et pourquoi Aurélie n'en a pas ?
Remarquez, sur son front, Francis Albert Victor Delbarre dit Raoul de Godewarsvelde est une célébrité locale connue des lillois et peut-être de quelques marins du cap gris nez encore en vie, mais il m'étonnerait fort qu'à part Emmanuel, il soit connu des invités.
Bon, l'ambiance est un peu lourde. La composition fausse s'est éclipsée. La chance!
Plat principal. La racine des Flandres côtoie le terrier. Assiette rectangulaire. Lapin chicorée, patates, sorbet à l'ail. Aurélie n'a jamais mangé de lapin, elle est jeune, ça va venir.
Dessert. L'enfer du nord. Visiblement personne n'avait compris l'allusion aux célèbres pavés du nord. Compote de rhubarbe, un classique, j'essaye d'en acclimater dans mon jardin, juste quelques tiges cette année. Du café à la chicorée, je n'ai jamais pu m'y faire.
Julien est un philosophe ésotérique. Son discours hautement symbolique sur son ressenti et sur ses appréciations gustatives est tellement initiatique qu'il a même du mal à comprendre ce qu'il n'arrive pas à exprimer. On dirait du Paco lorsqu'il tentait de nous expliquer que la fin du monde était proche, ou les témoins qui nous l'ont déjà promise plusieurs fois.
Les notes. 21 pour Isabelle. 20 pour Sabine et Aurélie. 17 pour Julien, sûr de ses appréciations.
Il n'y a qu'une brosse à dents dans la salle de bain !
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